Nations Unies : les Etats du Pacifique s’inquiètent des violations des droits de l’homme en Papouasie

Nations Unies : les Etats du Pacifique s’inquiètent des violations des droits de l’homme en Papouasie

Une première. Sept États du Pacifique demandent aux Nations Unies de faire toute la lumière sur les multiples atteintes aux droits de l’homme qui rongent la Papouasie depuis plus de 50 ans. Le peuple papou, annexé par l’Indonésie, revendique un référendum d’autodétermination. De nombreux pays appuient cette revendication mais un grand nombre s’en détourne. L’Indonésie, puissance régionale, ne manque pas d’atouts entre la diplomatie du carnet de chèques et la menace militaire. Seul espoir pour les papous ? Que l’opinion publique se mobilise davantage; que les gouvernés fassent entendre leurs voix ; pour que leurs gouvernants fassent entendre la leur. En proportion des cris poussés en Papouasie.

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Le Premier Ministre des Îles Salomon, Manasseh Sogavare devant l’Assemblée Générales des Nations Unies le 24 septembre 2016 © DR

Le Premier Ministre des Îles Salomon, Manasseh Sogavare, l’a rappelé opportunément ce 24 septembre 2016 lors du débat général qui ouvrait la 71èmesession de l’Assemblée générale des Nations Unies: « Les violations des droits de l’homme en Papouasie Occidentale et la lutte pour l’autodétermination de la région sont les deux faces d’une même pièce. De nombreux rapports insistent sur le lien étroit entre le droit à l’autodétermination et les violations des droits de l’homme perpétrées en Papouasie occidentale par l’Indonésie pour étouffer toute forme d’opposition » (1).

Discriminations, destructions d’habitats, expropriations, arrestations, tortures, viols, emprisonnements, assassinats, les exactions commises par les militaires et policiers indonésiens sur la population papoue sont légion. Pas un jour sans que les réseaux sociaux n’en fassent écho bien qu’aucun journaliste ne puisse enquêter librement sur ces terres papoues annexées depuis 1963 par le régime indonésien. Si l’indignation qu’elles suscitent n’entrave guère la marche criminelle d’un pouvoir militaire omnipotent en Nouvelle-Guinée occidentale (2), elles sont relayées sur la toile par une opinion publique croissante.

Filmées, photographiées, enregistrées par des papous rompus aux technologies numériques, ces atteintes aux droits de l’homme sont immédiatement envoyées sur les réseaux. Des images souvent violentes, centralisées puis rediffusées par la très influente Free West Papua Campaign (FWPC). Une poignée de volontaires au départ sensibilisés par Benny Wenda, un papou réfugié à Oxford (Grande Bretagne) miraculeusement rescapé de nombreux massacres (3). Lancé en 2004 le site FWPC comptait en 2016 250 000 abonnés sur Face Book; 362 000 en octobre 2017 ; une page traduite en de multiples langues que suivent des dizaines de milliers de personnes aux quatre coins du globe. Aussi quand un pays s’apprête à parler de la tragédie papoue dans l’auguste hémicycle des Nations Unies, les réseaux sociaux bruissent d’initiatives qui mobilisent les foules jusqu’au cœur de la Nouvelle-Guinée Occidentale.

Port Numbay, Biak, Fakfak, Kaimana, Manokwari, Merauke, Nabire, Paniai, Sorong, Timika,… les Papous manifestent dans chacune de leur ville. Conscients des risques qu’ils prennent plus encore des enjeux qui les leurs font prendre, ils répondent à l’appel des leaders politiques qui maillent discrètement mais sûrement le territoire papou. En ce 19 septembre 2016, le mot d’ordre est clair : manifester sa reconnaissance à l’égard des pays membres des Nations Unies s’exprimant sur la question papoue. À l’échelle de cette aire géographique (le Pacifique), trop souvent absente des débats internationaux, l’événement est historique.

Pour la première fois devant l’Assemblée générale des Nations Unies – présidée par un représentant des petits États insulaires du Pacifique, un Fidjien, M. Peter Thomson – sept pays régionaux (Nauru, les Îles Marshall, le Vanuatu, les Tuvalu, Tonga et Palau) vont, à tour de rôle, faire pression sur les Nations Unies pour qu’elles se préoccupent de la situation papoue : « Étant donné l’importance que mon pays accorde au respect des droits de l’homme, je demande au Conseil des droits de l’homme de l’Onu de lancer une enquête crédible et indépendante sur les violations présumées des droits de l’homme en Papouasie occidentale ! » exige Hilda Heine, Présidente des Îles Marshall.

Nous voulons le droit à l'autodétermination © KNPB
Papouasie occidentale – Nous voulons le droit à l’autodétermination © KNPB

«  Défaire ce qui a été fait par les Nations Unies en 1969 ! Nous voulons un vrai référendum d’autodétermination !  » martèlent les manifestants, le corps strié de bandes rouges et bleues, les couleurs de l’étoile du Matin, le drapeau papou. Ce référendum truqué sous tutelle indonésienne avait contraint 1026 personnes (soit moins de 0,01% de la population papoue) à se prononcer en faveur de leur rattachement à Djakarta. L’armée indonésienne ayant six ans plus tôt décimé toutes les élites locales, il ne restait plus qu’à enregistrer ce simulacre référendaire pour lequel l’organisation internationale n’avait dépêché que seize observateurs comme si le résultat du scrutin était connu avant même qu’il ne soit mis en place (4). Les Nations Unies avaient failli au su de tous sous tutelle américaine. La légitimité de ce déni démocratique était ailleurs.

Le droit du peuple papou à disposer de lui même et des richesses attachées à ses terres (premier gisement d’or au monde) aurait contrarié de multiples intérêts étroitement convergents : entre ceux, économiques, de la compagnie minière américaine Freeport Mac Moran avide d’exploiter le gisement d’or de Grasberg ; et ceux, plus politiques, de l’ambitieux général Suharto, en charge de la région papoue et déjà prêt à tout pour remplacer Sukarno, le président fondateur de la République indonésienne, qui menaçait de rejoindre le camp soviétique.

Dès lors les choses pouvaient s’engrener de façon implacable sous la houlette de la CIA et de l’un de ses fervents promoteurs, Robert Lovett (1895-1986), ancien secrétaire à la défense américaine et administrateur de la compagnie Freeport. De là à puiser dans cette collusion d’intérêts un rapport de causalité entre le coup d’état du 30 septembre 1965 qui porta au pouvoir (avec l’aide de la CIA) le général Suharto et le contrat d’exploitation aurifère qui s’ensuivit, signé dès avril 1967 entre le nouveau président Suharto et la compagnie américaine il y a moins d’un pas… propice à saper inexorablement le référendum d’autodétermination qui se profilait.

Ce 19 septembre 2016 le tribut est  lourd en fin de journée. Plus de cent papous arrêtés, emprisonnés, torturés pour certains (5). À 14 000 km de là, Nara Masista Rakhmatia, membre de la mission permanente de l’Indonésie auprès des Nations Unies, exerce son droit de réponse : « Ces déclarations politiques sont destinées à soutenir des groupes séparatistes dans les provinces en question, des groupes qui troublent constamment l’ordre public et perpètrent des attaques terroristes armées. »accusant in fine : « les pays du Pacifique d’ingérence » (6). Attaques terroristes… Groupes séparatistes ? « On tente de disqualifier tout ce qui fait aujourd’hui notre force, notre unité, notre légitimité à réclamer un vrai droit à l’autodétermination » commente un militant papou de Jayapura, capitale provinciale de la Papouasie.

Autrefois rongée par les divisions internes, autant politiques qu’ethniques (plus de 250 groupes), la Nouvelle-Guinée Occidentale est représentée depuis décembre 2014 par un seul mouvement politique : le Mulpo (acronyme de Mouvement unifié pour la libération de la Papouasie Occidentale) (7). Ses cinq membres élus par 800 délégués papous, embrassant les principaux partis politiques et groupes ethniques papous ont désormais pour ambition de faire acter leur légitimité par différentes reconnaissances institutionnelles. La première, à l’échelle régionale, est d’entrer au sein du Groupe Mélanésien Fer de Lance (GMFL) (8).

Appartenir au GMFL qui rassemble la majorité de la population mélanésienne de l’Océanie insulaire (en font partie le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, Fidji et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), mouvement politique indépendantiste de Nouvelle-Calédonie ) est une étape importante pour le Mulpo. Cette adhésion régionale pouvant faciliter une reconnaissance institutionnelle à un niveau international cette fois (comme celle du Commonwealth à laquelle appartiennent certains membres du GMFL).

À défaut d’obtenir le statut de membre de plein droit le Mulpo reçoit en juin 2015 un statut d’observateur au sein du GMFL tandis que le gouvernement indonésien se voit accorder un statut de membre associé. Un camouflet pour le mouvement politique papou. D’autant plus dur qu’il révèle les idéaux d’une solidarité mélanésienne sapée par la diplomatie indonésienne du carnet de chèque. Des centaines de milliers de dollars irriguent un système politique fidjien doué de cette cupidité qu’engendre une instabilité politique chronique. Quant à la Papouasie Nouvelle-Guinée, l’autre gouvernement « traître » aux yeux des membres du GMFL, seule sa servitude à l’égard du régime indonésien garantirait son inviolabilité territoriale. L’Indonésie n’hésitant pas à multiplier les incursions militaires en PNG, instaurant un climat de terreur (villages incendiés) pour rappeler à ses leaders politiques la voie diplomatique à suivre. Celle de ne pas accorder au Mulpo un statut de membre de plein droit aux effets supérieurs en terme d’influence au statut de membre associé actuellement concédé à l’Indonésie au sein du GMFL.

Ile de Biak, Fresque murale © www.philippepataudcélérier.com, 1995

Face à la toute puissance indonésienne (260 millions d’habitants, près de 500 000 soldats actifs) les pays membres du GMFL doivent faire preuve d’un grand courage politique pour soutenir le mouvement indépendantiste papou. Cette détermination loin de s’affaiblir semble même progresser. En atteste le nouvel engagement d’un grand nombre de pays mélanésiens ; au premier rang desquels les îles Salomon qui soumettaient encore l’an dernier la candidature du Mulpo au bon vouloir de Djakarta. Cette volte face est d’autant plus spectaculaire qu’en juillet 2016 les îles Salomon via leur premier ministre Manasseh Sogavare (destitué en novembre 2017; réélu en avril 2019) sont aussi à l’origine de la création de la Coalition Pacifique pour la Papouasie Occidentale (CPPO) (9).

Cette nouvelle coalition entendrait-elle dépasser, disqualifier le rôle du GMFL phagocyté par l’Indonésie ? La CPPO qui réunit les îles Salomon, le Vanuatu, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste, le MULPO et l’Association des ONG des îles du Pacifique (Pacific Islands Alliance of Non-Governmental Organisations – PIANGO) exclut de facto l’Indonésie et ses deux affidés (Fidji et PNG). Rejointe récemment par les gouvernements de Tuvalu et de la république de Nauru, la CPPO, entend promouvoir les intérêts du peuple papou au delà d’un bloc mélanésien trop divisé pour développer une diplomatie audacieuse. À même de satisfaire une opinion publique de plus en plus mobilisée par le lobbying incessant du Mulpo. Ses arguments sont d’ailleurs chaque jour corroborés par la tragique réalité papoue. Une population aujourd’hui minoritaire sur sa terre natale confrontée à des exactions permanentes. (voir le dernier article Nettoyage ethnique en Papouasie)

Si le Pacifique ouvre de plus larges perspectives la partie est loin d’être gagnée. Aux Nations Unies beaucoup de pays brillaient par leur silence, soucieux de préserver leurs intérêts avec l’Indonésie. Le plus remarqué fut sans doute l’Australie. À la mesure des liens que la pays noue avec l’Indonésie, son grand voisin septentrional. Mais ces liens ne sont pas seulement économiques mais politiques et militaires (10). L’Australie n’hésitant pas à  renvoyer en Indonésie les Papous qui s’étaient réfugiés sur son sol ; de même qu’elle forme et équipe en armes très sophistiquées le fameux détachement 88 indonésien : un corps paramilitaire d’élite destiné à lutter contre le djihadisme essaimant dans l’archipel ; un escadron de la mort surtout zélé dans sa « chasse au papou »; dont se soucie bien peu le gouvernement australien ; à l’image de son indifférence à l’égard des atteinte aux droits de l’homme en Nouvelle-Guinée Occidentale (voir lettre reproduite ci-bas).

Espérons seulement que ces liens ne deviennent pas des chaînes qui obstruent peu à peu la vision démocratique des dirigeants australiens et avec eux celle de leurs gouvernés trop peu nombreux encore à s’en préoccuper. Le silence encourage toujours les persécuteurs. Jamais les persécutés. L’opinion publique l’apprend toujours à ses dépens. (11).

© Philippe Pataud Célérier, 5 octobre 2016

Notes :

(1)    Pour lire la déclaration dans sa totalité  http://pmpresssecretariat.com/2016/09/24/si-national-address-71st-unga-delivered-prime-minister-hon-manasseh-sogavare-mp (2) Découpée administrativement en deux provinces par le gouvernement indonésien elle comprend la Papouasie et la Papouasie Occidentale. (3)    https://www.freewestpapua.org (4) A titre de comparaison les Nations Unies envoyèrent en août 1999 au Timor Oriental (15 000 km2) quelques milliers d’observateurs pour surveiller le bon déroulement du référendum d’autodétermination. (5) Papuan rallies across Indonesia stopped by police| Radio New Zealand News, 21 September 2016 (6) Démenti par Le Jakarta Legal Aid Institute (Insitutu d’aide juridique de Jakarta) qui dénombrait uniquement entre avril et septembre 2016 2282 arrestations de papous manifestant pacifiquement. La majorité de ces arrestations se déroulant entre le 28 mai et le 27 juillet 2016. (7) Les Papous minoritaires en Papouasie, Le Monde Diplomatique, février 2015. (8)msgsec.info (9) En anglais PCWP pour Pacific Coalition on West Papua. (10) Traité de Lombok. Pacte de sécurité signé sur l’île indonésienne de Lombok par l’Australie et l’Indonésie en 2006 en vertu duquel, les deux pays s’engagent « en aucune façon » à soutenir des activités qui menacent « la stabilité, la souveraineté ou des activités territoriales » de l’autre pays signataire. (11) voir la pétition qui commence à circuler.

Lettre du Premier Ministre australien, Julie Bishop

Lettre du Premier Ministre australien, Julie Bishop
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